«C’est toute une génération qui a appris à penser l’impossible», souligne Gerd-Rainer Horn, historien et professeur d’histoire politique à Sciences Po à propos des événements de Mai 68.
Si le soulèvement des étudiants de la fin des années 1960 a remodelé la pensée et chamboulé les mœurs ainsi que le visage de la politique dans le monde libre sur fond de changements culturels et d’acquis sociaux majeurs durant les quatre dernières décennies du XXe siècle, les manifestations pro-palestiniennes dans les campus américains et à Sciences Po en France ont bouleversé l’opinion publique et provoqué un malaise sans précédent dans un establishment politique occidental largement pro-sioniste.
Aux dernières nouvelles, près de 200 manifestants pro-palestiniens ont été interpellés avant-hier sur trois campus américains lors de l’évacuation par la police de leurs campements, dernier épisode d’un mouvement étudiant qui ne cesse de prendre de l’ampleur au pays de l’Oncle Sam.
Parallèlement, une centaine de manifestants pro-palestiniens ont été brièvement interpellés par des policiers anti-émeute dans la Northeastern University (Boston).
Dans le «Grand Canyon State» (‘’État du Grand Canyon’’, en français), au sud-ouest du pays, les forces de l’ordre de l’université d’Etat d’Arizona (ASU) ont arrêté 69 personnes avant-hier après l’installation d’un campement non autorisé, a fait savoir l’établissement.
Et sur le campus de l’université de l’Indiana (centre des Etats-Unis), 23 personnes ont été interpellées après que les forces de l’ordre, munies d’équipements anti-émeute, ont délogé leur campement, a rapporté le journal Indiana Daily Student.
Déclenchée il y a onze jours dans la prestigieuse université Columbia à New York, l’institution universitaire la plus politique des États-Unis, ce tsunami contestataire de soutien aux Palestiniens et hostile à la guerre que mène l’entité sioniste dans la bande de Gaza a fini par faire tache d’huile dans plusieurs établissements, de Los Angeles (Californie) à l’Indiana, d’Austin (Texas) à Boston (Massachusetts), en passant par Atlanta (Géorgie), Chicago (Illinois) et Washington.
D’ailleurs, certaines des universités les plus prestigieuses au monde sont concernées, telles Harvard, Princeton, Yale…et l’Institut d’études politiques (IEP) de Paris, communément appelé Sciences Po, en France !
En effet, au 27 de la rue Saint-Guillaume, dans le très chic 7e arrondissement de la Ville Lumière, le drapeau palestinien a enveloppé en partie le lion et le renard, emblèmes de la grande école française dans les domaines des sciences humaines et sociales. Devant la porte en fer forgé des locaux historiques de Sciences Po Paris, les poubelles et les palettes en bois formaient les barricades des manifestants soutenant la cause palestinienne et appelant l’IEP à cesser ses partenariats avec les universités israéliennes et les entreprises françaises qui sont complices du génocide à Gaza et «la fin de la répression à l’encontre des voix pro-palestiniennes sur le campus».
«Comme l’école l’avait fait au moment de la guerre en Ukraine avec les universités russes, rappelle un des membres du comité Palestine. Nous demandons simplement que l’école réserve la même politique».
Les revendications des étudiants français ne s’éloignent pas de celles formulées par leurs frères d’armes américains qui exigent de leur gouvernement de mettre fin à son son soutien militaire aveugle aux forces armées de l’entité sioniste et dénoncent la situation humanitaire catastrophique dans la bande de Gaza.
Si le dialogue semble prendre forme entre les manifestants de Sciences Po et leur direction avec une intervention peu chaotique des CRS, aux États-Unis, les étudiants pro-Gaza sont délogés, souvent de façon musclée, par des policiers en tenue anti-émeutes, à la demande de la direction des universités.
Cet (r)éveil de la conscience politique dans le milieu estudiantin occidental vis-à-vis de la cause palestinienne dérange non seulement dans la sphère décisionnelle des établissements universitaires, mais aussi dans une scène politique cadenassée par les lobbys sionistes — tels l’AIPAC (American Israel Public Affairs Committee) et le CRIF (Conseil représentatif des institutions juives de France) — et un paysage médiatique muselé par des directions ou des patrons pro-Israël.
Après tout, ces étudiants contestataires issus de grandes écoles et universités figurant dans le Top 100 du classement de Shanghai* seront forcément les Biden et les Macron du futur, voire les chefs d’entreprise et les décideurs qui tiendront les rênes du monde occidental. Voilà pourquoi, les «Congressmen» (députés de la chambre des représentants et sénateurs américains) pro-sionistes et la plupart des hommes politiques français — à l’exception de ceux de la France Insoumise et leur leader Jean-Luc Mélenchon — ainsi que le Premier ministre Gabriel Attal (un ancien de l’IEP de Paris) voient rouge et désapprouvent la mobilisation universelle des étudiants pro-Palestine.
Manifestement, avec cette révolte estudiantine, un l’esprit de Mai 68 est en marche… et rien ne sera plus comme avant après les événements d’Avril 2024 !
*Classement académique des universités mondiales par l’université Jiao Tong de Shanghai (Academic Ranking of World Universities en anglais, ou ARWU)